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La vallée de la Romanche, un patrimoine industriel au fil du torrent

Sur la route des stations de l’Oisans et du parc national des Écrins, la vallée de la Romanche offre un parcours riche d’histoire, dominée par l’énergie hydraulique puis l’hydroélectricité. Avant l’avènement des sports d’hiver, l’industrie a marqué un paysage qui distille aujourd’hui une ambiance émouvante.

On la traverse souvent sans la voir, pressés de grimper vers les sommets de l’Oisans pour aller skier, randonner… Ou voyager plus loin. Voie de passage dès l’époque gallo-romaine, le couloir de Livet-Gavet relie en effet Grenoble à l’Italie. Ralentissons le pas. De Séchilienne à Livet, la vallée encaissée de la Romanche déroule aussi l’histoire de nos territoires alpins. D’un passé dominé par l’énergie de l’eau et l’industrie jadis florissante du fer, la vallée a basculé dans l’innovation. Elle a subi le démantèlement de ses usines au profit du producteur d’un silicium de très haute qualité, Ferropem, en lien direct avec cette histoire industrielle. Depuis 2020, la centrale unique souterraine de Romanche-Gavet remplace aussi les six installations hydroélectriques le long du torrent. La Romanche a ainsi retrouvé son cours naturel.

Monument historique

Le chantier a démarré dans la neige pendant la Première Guerre mondiale, en février 1917, avec le renfort de nombreux prisonniers de guerre allemands

Flavien Perazza Groupe d’études des mines anciennes (Gema)

Livet, village d’histoire

La centrale des Vernes, à l’entrée du village de Livet, témoigne toujours de cette histoire. Pour la découvrir et saisir son importance dans l’économie et la vie quotidienne au début du 20e siècle, Flavien Perazza sera notre guide. Il est président du Groupe d’études des mines anciennes (Gema) et connaît la vallée comme sa poche. La visite se déroule ce matin-là sous un ciel encore plombé par les pluies nocturnes. La Romanche qui coule sous la RD1091 chante une eau boueuse.

Facade art déco

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Cette ambiance automnale, de manière surprenante, convient parfaitement à la découverte du site. Classée au titre des Monuments Historiques depuis 1994, la centrale hydro-électrique des Vernes dégage une beauté mystérieuse, digne d’un petit château. La verrière et son lettrage d’origine, la complexité ornementale du campanile qui surmonte le fronton et le ciment moulé de sa construction évoquent le mouvement Art Déco en vogue à l’époque.

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La houille blanche à son apogée

Le créateur de la centrale des Vernes s’appelle Charles-Albert Keller. Cet industriel a notamment mis au point un procédé de fabrication de fonte dans un four électrique à partir du recyclage de l’acier issu notamment de l’industrie de guerre. Il va s’appuyer sur le développement des centrales hydroélectriques de la Romanche pour faire tourner ses usines à Livet, dès 1902.

« Au moment du conflit de 1914, cette fonte synthétique servira à fabriquer les obus pour la Défense Nationale. Pour répondre à cette production massive, il faut davantage d’énergie et c’est à ce moment-là que naît l’idée de construire la centrale des Vernes. »

Des jardins monumentaux

Notre guide nous dévoilera encore la personnalité paternaliste de Charles-Albert Keller, « soucieux de concilier l’industrie, le tourisme et l’embellissement de la vie des habitants » à travers ce projet. D’où le soin apporté à l’apparence de la centrale des Vernes et de ses abords. Ce qui ressemble à un bassin aujourd’hui vide fut une fontaine majestueuse alimentée par le surplus d’eau pompée à la Romanche. On l’admirait depuis les jardins d’agrément, reliés à la centrale par un escalier monumental à double volée, lui aussi en ciment moulé. On imagine le sentiment de fierté qui a pu s’emparer des familles de Livet, lorsqu’elles venaient ici se détendre après une semaine à l’usine.

Dans la salle des machines

C’est un autre sentiment qui nous saisit aujourd’hui en pénétrant à l’intérieur de la centrale des Vernes.

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La hauteur sous plafond, la beauté des conduites et des turbines encore installées, le carrelage à damier rouge et blanc et cette lumière automnale qui passe à travers les hautes baies vitrées nous projettent encore ailleurs. Un décor de film à suspense, peut-être un James Bond vintage, ou alors le cadre d’un roman inédit de Jules Verne. La patine du temps sur ces dinosaures de métal ajoute à la mélancolie souveraine du site

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Décor de cinéma

La maison Keller

Cette impression cinématographique va se renforcer à l’extérieur
En gagnant le centre du village de Livet, nous remarquons cet immense pavillon bourgeois aux volets verts, flanqué vers la Romanche d’une extension sur pilotis. C’est la maison Keller, qu’occupèrent la famille du dirigeant et celles de ses proches collaborateurs.

La bâtisse est célèbre pour avoir servi de décor au film Les Rivières Pourpres (Mathieu Kassovitz).

Après plusieurs projets de réhabilitation, son destin est aujourd’hui incertain.

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Passerelle himalayenne

D’autres traces de cet âge d’or subsistent, comme les ruines d’une ancienne usine, un dispensaire pour les familles des ouvriers ou encore, devant la mairie, la statue d’un « polyte » (angelot), dont on ignore l’auteur et la symbolique. « Nous restons preneurs de toute information qui pourrait nous éclairer sur l’origine de cette œuvre commandée par Charles-André Keller », appelle Flavien Perazza, qui poursuit le décryptage du riche passé de la vallée de la Romanche à la lueur des moindres témoignages.

Nous ne repartirons pas sans avoir enjambé la rivière, un peu plus bas, sur une récente passerelle himalayenne. Suspendus juste au-dessus d’elle, nous ressentons sa force avec autant d’émotions que d’interrogations.

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